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L’État en débat(s) : questionner les cadres, les métiers et les pratiques de la haute fonction publique

Pour célébrer les 4 ans de l’Institut national du service public et les 80 ans de la création de l’École nationale d’administration, l’INSP a réuni le 6 octobre dernier, hauts fonctionnaires, experts, chercheurs, élus et dirigeants du secteur privé et public afin de confronter leurs expériences et leurs convictions autour d’une même question : comment penser l’État et ses cadres à l’horizon 2050 ? Visionnez les rediffusions des tables rondes !

31 octobre 2025
Crédit image | ©Axel Dorr • Institut national du service public (INSP)

En écho aux ateliers de réflexion prospective organisés en amont, chaque table ronde s’est appuyée sur un scénario de fiction imaginé par d’ancien-nes élèves de l’ENA et de l’INSP,  des expert-es et des agents publics de tous horizons en collaboration avec des auteurs de la Cité européenne des scénaristes. Ce dispositif inédit a permis de faire dialoguer anticipation radicale et expertise du réel, en rendant tangibles les transformations à venir du service public et leur impact sur la vie des citoyennes et citoyens.

De la réinvention du management public à la redéfinition de la citoyenneté et de la participation démocratique, de la santé publique de demain à l’école du futur, les échanges ont dessiné en creux les contours d’une action publique plus agile, plus inclusive et plus attentive aux besoins du terrain.

 

 

L’État face aux citoyens : perception, satisfaction, légitimité. L’implication des citoyens dans la vie politique en 2050

Animée par Baptiste Vecchini, élève de la promotion Guillaume Apollinaire (2022-2023), cette première table ronde posait le cadre du débat : comment renforcer la confiance des citoyens envers l’État dans un contexte de tensions, d’attentes accrues et de transformations sociétales profondes.

Crédit vidéo | ©Institut national du service public (INSP)

Florence Gomez, directrice générale de Bio c’Bon (groupe Carrefour), a apporté un regard issu du secteur privé, où la relation au citoyen-consommateur est centrale. Elle a souligné que la chaîne de commandement, plus complexe dans le public, peut générer des lenteurs que l’administration subit davantage. À l’inverse, la concurrence pousse le privé à être en conquête permanente et à placer l’attention au client au cœur de ses priorités, une posture inspirante pour le secteur public. Sur le plan managérial, elle a relevé que le privé accorde davantage de valeur aux qualités de leadership et à la souplesse organisationnelle, en favorisant la détection des talents et la mobilité interne.

Éric Barbier, cheffe de service à la DGFIP, a apporté le point de vue de la fiscalité comme ciment du lien social. La France conserve une singularité : sa capacité à lever l’impôt et à le faire accepter. Mais ce consentement repose de plus en plus sur la perception d’un retour tangible pour le citoyen. La fiscalité devient aussi un outil d’orientation des comportements (écologie, santé publique), sans toutefois se substituer à l’éducation ou la prévention.

De son côté, Hugo Micheron, enseignant-chercheur en sciences politiques, a montré comment les outils d’analyse par intelligence artificielle permettent de mieux comprendre les attentes citoyennes. À partir des données du Grand Débat national de 2019, il distingue quatre grands profils de citoyens, des sceptiques aux réformistes, et souligne que, loin d’un « ras-le-bol fiscal », les Français expriment surtout une forte exigence de résultat en matière de services publics.

Florence Gomez, directrice générale de Bio c’Bon (groupe Carrefour), a apporté un regard issu du secteur privé, où la relation au citoyen-consommateur est centrale. Elle a souligné que la chaîne de commandement, plus complexe dans le public, peut générer des lenteurs que l’administration subit davantage. À l’inverse, la concurrence pousse le privé à être en conquête permanente et à placer l’attention au client au cœur de ses priorités, une posture inspirante pour le secteur public. Sur le plan managérial, elle a relevé que le privé accorde davantage de valeur aux qualités de leadership et à la souplesse organisationnelle, en favorisant la détection des talents et la mobilité interne.

La table ronde s’est clôturée sur une projection citoyenne en 2050, imaginée par Christel Gonnard et Louise Mariani : une jeune femme de 18 ans s’apprête à voter dans une démocratie réinventée. Après avoir obtenu un « permis citoyen » et participé à des missions de service public, elle vote désormais pour un binôme présidentiel porteur d’un programme commun. Le civisme y est devenu un apprentissage concret, et la jeunesse dispose d’un poids électoral renforcé.

Crédit images | ©Axel Dorr • INSP

 

La santé publique demain : quels défis ?

Animée par Carla-Julie Bastia, élève de la promotion Guillaume Apollinaire (2022-2023), cette table ronde s’est penchée sur les grands défis de la santé publique à l’horizon 2050. Les intervenants ont abordé les questions d’accès aux soins, d'innovation de prévention, et de l’impact croissant du numérique sur la santé publique.

Crédit vidéo | ©Institut national du service public (INSP)

Cécile Lambert, rapporteure générale de l’Article 51 au ministère de la Santé, a rappelé que la crise d’accès aux soins, en gestation depuis plus de vingt ans, met en cause la pérennité du système. Malgré de nombreuses réformes, les politiques publiques manquent encore d’un véritable cadre stratégique et d’une évaluation cohérente de leurs effets. Elle a souligné que l’inégalité d’accès aux soins est désormais un sujet central dans l’opinion, notamment sur le plan territorial, et qu’il s’agit d’un enjeu politique majeur pour les décennies à venir. Elle a également rappelé l’importance de la prévention, qui doit selon elle devenir une priorité, dans un contexte où les dépenses augmentent sans gains de performance visibles par les citoyens.

Martial Jardel, médecin généraliste et cofondateur de l’association Médecins Solidaires, a présenté une approche pragmatique face aux déserts médicaux. Son collectif, qui rassemble près de 850 praticiens et gère plusieurs centres de santé, repose sur une logique simple : mieux répartir la charge de travail en demandant un peu à beaucoup, plutôt que beaucoup à quelques-uns. L’expérience a bénéficié d’un fort soutien des préfectures et montre comment une initiative locale peut inspirer des politiques publiques nationales.

Xavier Marette, directeur départemental de l’ARS de Lozère, a plaidé pour un renforcement de la territorialisation des politiques de santé. Selon lui, il faut conjuguer un cadre national clair avec une capacité d’adaptation aux réalités locales. Cette approche passe par la confiance accordée aux acteurs de terrain, notamment via des marges de manœuvre budgétaires accrues. Le partenariat entre ARS et élus locaux, en particulier les maires, constitue un levier d’action essentiel. Il a également souligné le rôle de l’INSP dans la formation continue des dirigeants hospitaliers et des responsables territoriaux de la santé.

Marion Marty, sous-directrice à la Direction générale de la santé, a évoqué un enjeu émergent : la protection de la santé des enfants face à la surexposition aux écrans. Longtemps ignorée, cette problématique mobilise désormais plusieurs leviers d’action : régulation des plateformes (vérification d’âge, désactivation de fonctionnalités addictives), encadrement des usages dans les structures d’accueil, et sensibilisation des parents. Elle a insisté sur la nécessité d’une approche intersectorielle de la problématique, impliquant l’éducation, le numérique, la santé, mais aussi les collectivités locales.

Un scénario prospectif a ensuite été imaginé avec le scénariste David Elkaïm, qui projetait le public dans le quotidien d’un patient en 2050. Ce patient, soigné principalement grâce à des objets connectés, se voyait tout à coup confronté à un bug massif de ces “nouveaux soignants” menaçant tout à coup l’intégralité de ce nouveau système de santé, désincarné. Cette fiction interroge la place du numérique et les risques d’une santé entièrement automatisée.

En écho au scénario présenté, Marine Darnault, directrice stratégie de l’AFM Téléthon, a rappelé que la santé n’est pas seulement un coût, mais un investissement collectif. Elle a relevé les leviers d’avenir évoqués dans la table ronde et elle a conclu sur le pouvoir d’agir des patients eux-mêmes, porteurs d’idées et d’expérimentations.

Crédit images | ©Zacharie Turpin • INSP

 

L'École du futur : une journée d’un professeur de collège en 2050

Animée par Charly Chotard, élève de la promotion Guillaume Apollinaire (2022-2023), cette table ronde s’est penchée sur les grands défis de l’éducation à l’horizon 2050. Baisse de la natalité, inégalités sociales, formation du corps enseignant, ouverture culturelle : les échanges ont esquissé les contours d’une école en pleine redéfinition, au cœur du pacte républicain.

Crédit vidéo | ©Institut national du service public (INSP)

Édouard Geffray, conseiller d’État et ancien directeur général de l’enseignement scolaire, a dressé le constat d’un véritable mur démographique : la France compte déjà 150 000 élèves en moins qu’il y a 10 ans à chaque rentrée, et ce mouvement devrait se poursuivre. D’ici 2050, l’école pourrait accueillir deux millions d’élèves de moins qu’aujourd’hui, une évolution qui interroge le maillage territorial, la taille des établissements et la répartition des moyens.

Cette transformation démographique s’accompagne d’une évolution sociologique : une part croissante des enfants a au moins un parent né à l’étranger, ce qui suppose de repenser les approches pédagogiques et la construction du vivre-ensemble. Pour Édouard Geffray, l’école devra redéfinir un nouveau contrat social : une éducation de qualité pour toutes et tous, garante de l’égalité des chances, tout en restant un pilier structurant des territoires.

Pierre-Antoine Adad, enseignant en réseau d’éducation prioritaire dans le Val-de-Marne, a insisté sur la nécessité de faire du changement démographique un levier d’amélioration pédagogique. Moins d’élèves pourrait signifier des classes plus petites, davantage de travail en demi-groupes et une meilleure prise en compte des besoins individuels. Mais il a aussi rappelé les difficultés du corps enseignant : manque d’attractivité du métier, conditions de travail variables selon les territoires, climat scolaire parfois difficile et défis liés à l’inclusion. La motivation et la reconnaissance des professeurs sont, selon lui, au cœur de la réussite éducative.

Pour Emmanuel Ethis, délégué interministériel à l’éducation artistique et culturelle, l’art et la culture constituent une dimension essentielle de la formation des élèves. Pourtant, un jeune sur cinq y a encore peu accès. L’éducation artistique doit être conçue comme une responsabilité partagée entre plusieurs ministères et un vecteur d’égalité. Il a également rappelé que le métier d’enseignant, souvent idéalisé, repose sur des compétences exceptionnelles, dont bien des managers pourraient s’inspirer.

Le scénario prospectif, imaginé par Joris Morio, scénariste de la série Le Remplaçant, a plongé le public dans une journée de classe en 2050. Dans ce futur apaisé, la méditation ouvre la journée, les notes sont remplacées par des codes couleurs, et la réussite collective prime sur la performance individuelle. Les élèves apprennent à raisonner en groupe, à s’autoriser l’erreur et à célébrer le progrès plutôt que le résultat. Le sport et la créativité occupent une place centrale, et les enseignants disposent d’une liberté pédagogique accrue pour adapter leurs méthodes aux besoins de leurs élèves.

De ce récit se dégage une vision de l’école plus sereine, plus inclusive et plus humaine, un lieu d’apprentissage mais aussi d’épanouissement, fidèle à sa mission fondatrice : former des citoyens éclairés, conscients de leur destin commun.

Crédit images | ©Zacharie Turpin • INSP

 

L’État et ses cadres supérieurs et dirigeants : à quoi ressemblera un cadre supérieur de l’État en 2050 ?

Animée par Yacine Seck, élève de la promotion Germaine Tillion (2021-2022), cette table ronde a exploré les nouvelles exigences du leadership public dans un monde traversé par l’incertitude et la complexité. Comment former, accompagner et inspirer les futurs dirigeants publics ? Quels leviers pour piloter autrement et mobiliser les équipes face aux transformations de l’action publique ?

Crédit vidéo | ©Institut national du service public (INSP)

Paul Peny, conseiller d’État et ancien directeur général de l’administration et de la fonction publique, a souligné la nécessité d’un changement de paradigme : moins de technique, plus d’humain. Former les dirigeants publics de demain, c’est avant tout leur apprendre à faire grandir leurs équipes, à révéler les talents et à ancrer la coopération comme réflexe professionnel.

Pour Blandine Thibault Biacabe, directrice des ressources humaines, recherche et innovation chez L’Oréal France, le leadership n’est pas une question de formation mais d’état d’esprit. Le dirigeant de demain devra faire preuve de curiosité, de plasticité et de courage. Il apprendra sur le terrain, assumera le droit à l’erreur et favorisera l’autonomie de ses collaborateurs. Elle a aussi insisté sur la « circularité des parcours » et l’importance d’encourager la diversité des expériences, gage de vitalité collective.

Benjamin Raigneau, secrétaire général adjoint chargé de la qualité de l’action publique à la Ville de Paris, a rappelé que la compétence managériale, souvent négligée dans le secteur public, nécessite un accompagnement de long terme. Donner du sens, célébrer les réussites, alléger les lourdeurs hiérarchiques et oser « faire vite plutôt que parfait » sont autant de clés pour réengager les équipes et réinventer les modes d’action.

La table ronde s’est conclue sur une projection prospective scénarisée avec l’accompagnement de Pauline Rocafful, directrice de la Cité européenne des scénaristes. En 2045, les indicateurs classiques auront laissé place à un management par l’intention, fondé sur la confiance et la clarté des objectifs. La culture de l’échec, pleinement intégrée, sera devenue une source d’apprentissage et d’innovation continue.

Crédit image | ©Axel Dorr • INSP

 

Faire de la prospective un moteur de transformation

Au fil des échanges, une conviction s’est imposée : penser l’État de 2050, c’est déjà agir sur celui d’aujourd’hui. Loin d’être de simples exercices d’imagination, les scénarios prospectifs ont servi de catalyseurs pour interroger les pratiques, les institutions et les certitudes.

De ces dialogues mêlant fictions et expertises sont ressorties des pistes très concrètes : repenser le management public autour de la confiance et du droit à l’erreur ; ancrer la santé dans les territoires en misant sur la prévention ; imaginer une citoyenneté plus participative et plus proche du quotidien des habitants ; ou encore concevoir une école ouverte, créative et inclusive, capable d’accompagner les transformations démographiques et sociales.

En faisant dialoguer anticipation et action, ces tables rondes ont rappelé que l’avenir de la puissance publique ne se construira pas uniquement par des réformes, mais aussi par la capacité collective à imaginer et à expérimenter.

Car la prospective, lorsqu’elle s’ancre dans le réel, devient bien plus qu’un exercice de style, elle peut devenir un véritable moteur de transformation pour l’État et pour celles et ceux qui le font vivre.

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